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Vous trouverez dans ce pemier volet, une synthèse des fondements théoriques de cette approche cognitive et constructiviste appliquée à de nombreux domaines du vivant (économie, politique, sociologie, psychologie) qu’on appelle l’Analyse Systémique.

Suivra un 2ème volet, dans lequel le conflit sera décrit de façon systémique. Pour finir dans un 3ème volet, un éclairage systémique permettra de revisiter le processus de médiation et les outils d’intervention du médiateur. Je tacherais de vous livrer le tout avant Noël.

 

 

  Sommaire

 

 

 INTRODUCTION

1.       La pensée contemporaine commence au XVIIème siècle avec Descartes.

 2.       Le constructivisme

3.       La cybernétique

4.       Les conférences de Macy et les propriétés communes à tous les systèmes

5.       Comment le vivant est-il informé des changements de l’environnement ?

6.       Les règles et l’apprentissage.

7.       La déstabilisation du système et le changement

 

 

INTRODUCTION

 

 

Rien à faire, l’être humain est un animal sociable et le groupe lui est quelque part indispensable.  Seul, il ressent de l’incomplétude et perd l’indispensable reflet qui lui permet l’image de soi. Comme Michel Tournier nous le décrit de façon si littéraire, Robinson sur son ile déserte manquait cruellement du regard de l’autre pour se sentir en vie :

 

« Narcisse d'un genre nouveau, abîmé de tristesse, recru de dégoût de soi, il médita longuement en tête à tête avec lui-même. Il comprit que notre visage est cette partie de notre chair que modèle et remodèle, réchauffe et anime sans cesse la présence de nos semblables. .... En vérité, il y avait quelque chose de gelé dans son visage et il aurait fallu de longues et joyeuses retrouvailles avec les siens pour provoquer un dégel. Seul le sourire d'un ami aurait pu lui rendre le sourire » Michel Tournier, Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Ed. Gallimard

 

Ce besoin de reconnaissance si profondément ancrée semble être le point d’achoppement de bien des déboires. Il est central lorsqu’on aborde le conflit. Avant tout, le conflit est un risque inhérent aux relations humaines et donc au groupe même restreints. Fruit du manque à être reconnu, il déclenche chez chacun d’entre nous aveuglement et surdité qui nous mène à des situations inextricables. La qualité relationnelle qui en résulte est endommagée, abimée et les dégâts du conflit touchent le système interactionnel au-delà de l’interaction entre les principaux acteurs. Les acteurs secondaires du conflit font partie d’un système plus large et ainsi par « effet papillon », le conflit entre 2 acteurs peut engendrer des catastrophes et des mal êtres autour d’eux (les enfants dans les séparations, les équipes au sein d’une entreprise…) Toutes les interactions s’enchevêtrent tel un maillage dans un système que le médiateur se doit de comprendre pour l’aider à trouver un nouvel équilibre.

 

L’approche systémique du conflit nous permet de comprendre en quoi celui-ci est utile au sein du système dans lequel il s’inscrit. Un système a ses lois et réagit au changement de telle façon à conserver une homéostasie. Et pour aller (trop) vite à l’essentiel : « plus ça change et plus c’est la même chose » clin d’œil paradoxal de Alphonse Karr qui exprime si bien que lorsqu’un conflit advient, plus ce conflit menace de changer quelque chose dans les modes de vie plus les acteurs impliqués feront un peu plus de la même chose pour conserver leur équilibre connu.

 

Et tout cela peut être éclairé par les fondements de l’approche systémique. L’analyse systémique est le fruit des sciences de la communication, de l’information et de la cybernétique. La contribution de l’anthropologue Gregory Bateson a été essentielle pour son application en sciences humaines

 

·         La cybernétique : discipline qui étudie les régulations et la communication chez les êtres vivants et les machines construites par l'homme.

·         La systémique : étudie les systèmes et leur évolution.

·         Un système est un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisés dans un contexte donné, considéré comme pertinent par rapport à un tout.

·         Chaque système s’inscrit dans un niveau logique (Cf. la terre et la lune, le système solaire, la voie lactée, l’univers) Les niveaux logiques s’influencent mutuellement et le tout est en métarelation avec ses parties.

 

 

1.   La pensée contemporaine commence au XVIIème siècle avec Descartes

 

Outre la coupure entre l’esprit et la matière et le cogito « je pense donc je suis », Descartes révèle également que pour étudier un phénomène complexe, il faut  le concasser en unités simples qui peuvent être étudiées séparément. L’observateur  est dans une « vision analytique » de l’objet d’étude. Les sciences dites « dures » ont ainsi connu un développement  et une avancée technologique spectaculaires. La méthode scientifique expérimentale postule que l’homme peut comprendre son environnement en isolant l’objet d’étude pour mieux le contrôler.

 

Pourtant, début XXème, Claude Bernard (médecin) pose des limites à la méthode « cartésienne » : elle n’est pas tout à fait adaptée à l’étude des systèmes humains ou tout simplement vivant (psycho et sociologiques, biologiques, écologiques ou économiques). Outre le fait que la science traditionnelle isole les liens entre les parties, elle ne tient pas compte de la relation entre le chercheur ou l’observateur et son objet d’étude, comme si celui-ci était neutre. D’autre part, les variables sont étudiées en les isolant de leur contexte général : du coup,  on observe des causes et des effets dans une linéarité en se privant d’observer l’impact de ces variables sur leur contexte et l’impact du contexte sur ces variables.

 

Certains chercheurs se lance alors dans une approche globale qui permettrait la compréhension des relations entre l’environnement, le sujet d’étude et l’observateur, celui-ci exerçant (ne serait ce que par sa présence) une influence sur son sujet.

 

2.   Le constructivisme

 

À l’époque où l’on « classait » les cultures en fonction de leur passé (étude de l’histoire, des origines), Gregory Bateson (1904-1980), anthropologue anglais s’attache à mieux comprendre leurs comportements spécifiques. Il s’interroge sur une méthode d’observation qui permette de comprendre les liens entre les individus et les caractéristiques de la culture dans laquelle ils évoluent ainsi que la manière dont la culture façonne les rôles distincts des hommes et des femmes.

En étudiant les tribus de Nouvelle Guinée, il comprend que pour expliquer un comportement culturel, les modèles qui se contentent d’étudier le passé du groupe sont insuffisants ; il décide d’observer les liens, les interactions comportementales au présent (synchronie) et dans leur contexte (http://www.therapie-familiale.org/resonances/pdf/contact.pdf et http://www.revue-hypnose-therapies-breves.com/bateson1.pdf)

 

En 36, il explique ainsi comment un comportement encouragé par l’environnement se déploie tandis qu’un comportement non encouragé s’éteint. C’est ainsi la culture d’une tribu se perpétue, par un apprentissage au quotidien. La culture que chacun porte est le résultat d’une adaptation au contexte qui l’entoure et le façonne : c’est l’émergence des « théories interactionnelles et synchroniques ».

 

En France, c’est Jean Piaget qui introduit le terme de constructivisme, en rupture avec l’épistémologie traditionnelle. Ce dernier désigne depuis les années 70 un modèle selon lequel on ne peut connaître de réalité indépendante de l’observateur. Elaboré à partir de 3 sources (Cf. Stratégie de la thérapie brève, 1997), cette approche épistémologique considère que les phénomènes ne peuvent être décrits qu’à partir de notre propre expérience.

·         Le langage : dès l’antiquité, les grecs en font un art utilisé pour produire des changements de point de vue de l’individu et des masses. Pourtant, on ne s’approprie pas une langue qui n’est pas maternelle : qu’y a-t-il derrière les mots. A titre d’exemple, le verbe « être » devrait être banni. On ne peut pas dire «  cette pièce est petite » car le verbe être donne un caractère durable et absolu à l’attribut de la pièce qui n’est que l’expression d’un point de vue. Ainsi, Le langage construit la pensée sur des bases ambiguës : le langage est mon langage et il me rend conscient seulement de moi-même. Il véhicule non seulement un message mais aussi une « relation » toute relative autrement appelée « fonction ».

·         Les sceptiques : ce que nous voyons est décodé par nos organes sensoriels et notre système conceptuel. Ainsi nous sommes pris dans un paradoxe : nous ne pouvons appréhender la réalité qu’en l’expérimentant (« ne croire que ce que l’on voit » est une croyance irrationnelle). Il faut donc un modèle de nos expériences et non d’un monde réel.

·         Un concept évolutionniste, que Piaget développa en une théorie du développement cognitif : la cognition est une capacité adaptative.

 

3.   La cybernétique

« On peut considérer le monde comme une myriade de messages à toutes fins utiles » Norbert Wiener.

 

C’est avec les systèmes non vivant que la première cybernétique a vu le jour : en 41, alors que les USA entrent en guerre, un ingénieur, Norbert  Wiener invente un dispositif pour rendre plus efficace le contrôle défense anti aérien en artillerie. Spécialiste de la théorie de la communication (introduite par Shannon avec les théories de l’information),  Il s’intéresse aux écarts d’un impact à la cible. Il comprend qu’en renseignant le système détecteur par une information en retour (feedback), Le système apprend à réduire l’écart à la cible.

·         Le feedback – (fb-), réduit l’écart entre la cible et le point d’impact

·         Le feedback+ (fb+) augmente l’écart entre la cible et le point d’impact.

Le système qui reçoit une information en retour déclenche une réponse  qui  permet une autorégulation pour un maintien de la norme existante (ou programmée).

 

Le feedback -  (Fb-) est la clé de l’autorégulation (il permet le retour à la norme, le retour à la cible), tandis que le feedback + (Fb+) est la clé du changement (déclenchement d’escalade pouvant aller jusqu’à un point de rupture de l’équilibre du système)

 

Nous fonctionnons finalement, un peu comme un radiateur thermostatique et nos comportements jouent le rôle de régulateur. La notion de « résistance au changement » consiste en une autorégulation du système individu/environnement, autrement appelée loi d’homéostasie.

 schéma autoregulation

  

Si l’environnement (le contexte) influe sur l’individu, ce dernier  agit de manière à maintenir sa cohérence interne, c'est-à-dire à conforter la vision qu’il se fait de Sa réalité. La « norme » autrement appelé « état d’origine » varie pour chacun d’entre nous : elle peut être modifiée au cours de la vie par des changements subis ou choisis. Le changement est une nécessité adaptative.

 

4.    Les conférences de Macy et les propriétés communes à tous les systèmes

 

Norbert Wiener participe avec d’autres chercheurs pluridisciplinaires dont Gregory Bateson, anthropologue, aux fameuses rencontres interdisciplinaires appelées conférences de Macy.

C’est en 1948 qu’il formalise l’objet d’étude de ces conférences sous le nom de cybernétique,  science générale du fonctionnement des systèmes. Ces conférences réunissent d’une part, un mouvement composé de psychologues, anthropologues psychanalyste et Gestalt, qui souhaitent instaurer une réciprocité entre les sciences mathématiques et physiques et les sciences humaines  et d’autre part, les « cybernéticiens » (issus des mathématique et de la physique…) qui au contraire, mènent un combat contre les sciences psychologiques établies au nom des sciences mathématiques et physiques. L’objectif : édifier une science générale du fonctionnement du vivant.

 

Diverses disciplines s’intéressent dorénavant aux  phénomènes organisés et autorégulés. Par exemple, comment le corps humain se maintient-il  à 37°, comment les unités physiologiques et environnementales simples interagissent pour que l’ensemble produise 37° ? La cybernétique permet de comprendre les enjeux interactionnels des ses composants, dans un but d’une intervention, d’un contrôle ou d’une simulation de ce même système. C’est le biologiste Ludwig Von Bertalanffly (68) qui formalise les propriétés communes à tous les systèmes vivants ou ouverts.

 

·         La propriété de totalité : chaque système possède des qualités émergentes (l’eau a une propriété liquide différente des éléments qui la compose : H2O = 2 gaz). Le tout ne se réduit pas à la somme des parties. De même,  en psychologie, l’interaction entre 2 personnes possède des qualités émergentes spécifiques (1+1=3 : moi, l’autre, nous). En sociologie, on n’explique pas les mouvements d’une foule violente par la nature (psychologie, buts, motivations…) des individus qui la constituent et qui peuvent être, d’ordinaire, pacifiques.

 

·         L’équifinalité : Un même résultat peut s’obtenir avec des causes différentes, ou encore, une même cause peut produire des effets différents. Ce principe diverge totalement de la causalité linéaire (déterminisme ou causalité cartésienne) dont le point de vue est « diachronique » consistant à retracer l’origine du système et de ses éléments). Au contraire, l’équifinalité nous oblige à opter pour un point de vue « synchronique » (observer les phénomènes d’interaction à un moment donné pour comprendre l’état du système. En gros il n’y a pas de linéarité cause/effet : ce n’est pas parce qu’on a subit un préjudice que l’on va entrer en conflit, ce n’est pas parce qu’on vit un traumatisme qu’on développe un problème psychologique… Voici un principe important et nous comprenons pourquoi (en médiation comme en thérapie brève) il est inutile de s’acharner à (re)faire l’histoire du conflit et d’en déceler son origine. C’est le système interactionnel au moment où il se présente face au médiateur qui est pertinent. Le but de la médiation étant de faire évoluer le mode relationnel de ce système vers un état cible (le mode « altérité »)

 

·         Le principe de rétroaction : implique que chaque élément peut s'informer et agir sur l'état des autres « on ne peut pas ne pas communiquer » Paul Watzlawick. La seule « présence » d’un médiateur peut changer la donne même si celui-ci n’est qu’un néophyte un peu hasardeux dans ses pratiques. Les interactions ne résultent pas d’une causalité linéaire (cause /effet) mais manifestent une causalité circulaire ; un message entraîne un message en retour et vice et versa.     « Le feedback est un message, l’échange de tous ces messages forme ce que nous appelons la communication » Paul Watzlawick

 

·           L’homéostasie : quand un système s’est stabilisé, il existe une tendance à maintenir un équilibre de fonctionnement. Quand l’équilibre est bousculé, des actions correctrices (cf. schéma de l’autorégulation p5) sont mises en œuvre pour qu’il soit ramené à son point d’équilibre (principe du radiateur thermostatique). Ce qui assure aux systèmes ouverts leur identité et leur permanence dans le temps. Ce mécanisme s’oppose au changement et peut donc limiter les facultés d’adaptation d’un système en cas de modifications internes ou contextuelles importantes. Pour Claude Bernard : « l’homéostasie est l’équilibre dynamique qui nous maintient en vie » Lorsqu’une personne est concernée par un changement dans son environnement, elle reproduit des comportements connus (habituels), même si l’équilibre est jugé déplaisant ou douloureux.

 

5.   Comment le vivant est-il informé des changements de l’environnement ?

« L’information est une différence qui fait une différence » Gregory Bateson

 

Pour réagir différemment à notre environnement, il faut que l’information soit perceptible par nos sens et qu’elle soit potentiellement différente de l’information précédente : l’information consiste en des différences qui font une différence. De fait, si nous recevons des signaux peu différents les uns des autres, nous ne les percevons pas comme des informations. En modifiant très progressivement un paramètre de l’environnement, les organes physiologiques et sensoriels n’y voient que du feu mais l’organisme lui, doit supporter le changement en question.

 

Voici une histoire expérimentale connue  qui explique clairement le phénomène d’adaptation et de sur-adaptation : Prenez une petite grenouille que vous placerez dans une cocotte d’eau froide. Faites chauffer la casserole à feu très doux. Laissez très progressivement la température monter jusqu’à l’ébullition (imaginez que cela prenne des heures voire des jours). La grenouille s’habitue à une montée progressive de la chaleur, au point qu’elle ne puisse plus sauver sa peau lorsque la température de l’eau arrive à ébullition.

 

Les systèmes ont la propriété de s’autoréguler, jusqu’à certaines limites : la grenouille dans cette triste expérience, ne capte pas l’information sur la température qui lui parvient : les écarts de température sont tellement faibles qu’ils ne sont pas perçus comme une information. Conséquence : une illusion perceptive sur la température de l’eau du bain qui lui coûtera la vie. Telle est la part de responsabilité du système sensitif trop peu évolué, dans le destin d’une grenouille qui chauffe !

 

Les différences d’information, peu perceptibles, peuvent conduire l’individu à s’adapter (voire se sur-adapter) à un chef autocratique, un conjoint tyrannique, ou un environnement dangereux. Pour peu que le changement s’installe progressivement, l’individu reproduit les mêmes classes ou patterns de comportements, continuant ainsi à faire plus de la même chose, jusqu’à un point de rupture de l’organisme.

Dans bien situation, l’être humain, système évolué et complexe s’il en est, s’habitue, s’adapte, s’acclimate… même si la situation est peut être jugée de l’extérieur, comme douloureuse, voire insupportable. J’ai toujours été stupéfaite, de constater jusqu’où, sur leur terrain, israéliens et palestiniens ont pu s’adapter à ce conflit quasi permanent. Ils n’en restent pas moins que le point de rupture existe même s’il est en dehors du champ des possibles. Une relation conflictuelle (conflits internationaux) peut durer des dizaines d’année, il devient un contexte auquel les citoyens s’habituent, apprenant à se comporter dans les dangers quasi permanents.

 

 

 

 

6.   Les règles et l’apprentissage

« La nature a horreur du vide » dixit Spinoza.

 

Un système a besoin de s’organiser, c'est-à-dire mettre de l’ordre dans le désordre, du sens dans le hasard, de l’informatif dans le bruit, de la matière dans le vide… En optant pour des comportements « utiles par rapport au contexte », un processus d’apprentissage basé sur la redondance, permet à l’individu de conforter une vision du réel. Les redondances permettent des généralisations, des abstractions, autrement appelées des règles interactionnelles. Ainsi par élimination (non usage), le système élimine des comportements possibles mais non utiles. Ce qui fait dire à Paul Watzlawick, dans les années 70-80 que « ce n’est pas la réalité qui nous limite mais l’idée que l’on s’en fait ».

 

Ainsi, plus nous « marinons » dans un même contexte, plus il devient prévisible : on apprend les réactions de notre partenaire, de nos enfants, de notre patron ou de notre conjoint. Ce qui, il faut bien le reconnaître, est assez rassurant et facilite la vie. « Si je sors et que je ne réponds pas aux appels téléphonique de mon conjoint, je sais que j’aurai une scène en rentrant» « si je prends l’initiative d’organiser différemment mon travail, mon boss en sera mécontent et j’aurai droit à un chapelet de reproches ». Tout est réglé comme du papier à musique et l’on anticipe ce que l’on risque à vouloir modifier une règle établie par la simple redondance de l’expérience.

 

Nous apprenons des règles afin de donner du sens aux messages qui nous parviennent. Concernant les illusions perceptives, une illustration expérimentale intéressante a été menée par John C Wright (pour le détail de l’expérience lire p59 de « la réalité de la réalité » de Paul Watzlawick). L’expérience prétend une « résolution de problème » : les sujets ont pour consigne de deviner la stratégie qui permet de comprendre comment des réponses gagnantes peuvent être obtenues dans un « jeu » similaire au bandit manchot. Ce que les sujets ne savent pas c’est que les réponses gagnantes sont aléatoires. Pour résumer, les sujets récompensés -de façon totalement aléatoire- ont tous élaboré une « soi-disant » stratégie et sont capables de l’argumenter en mettant en évidence une logique à laquelle ils croient vraiment. C’est dire combien nous sommes créatifs !

 

L’être humain comme tout système vivant apprend à se comporter dans son environnement ; une particularité tient à sa capacité de « savoir qu’il sait ». La pensée consciente est utile pour interpréter son cheminement. Nous formulons des buts, sans pouvoir cependant tenir compte de la nature systémique des régulations naturellement mise en place : « nous ne savons pas » l’aspect circulaire des boucles de régulation installées par la répétition de nos expériences.

 

Certains de nos comportements dans notre contexte relationnel, se mettent en place pour maintenir un « statu quo » ou équilibre dynamique, comme sur un trapèze, dans lequel des changements se produisent continuellement. Nous apprenons à ajuster nos comportements aux variations de l’environnement, dans un contexte donné. Ainsi, nous sommes de plus en plus performants à répéter des patterns de classes de comportements.

 

Lorsqu’un couple se forme chaque personne arrive avec ses différences. Pendant un laps de temps, certaines conduites seront renforcées, d’autres découragées. Le processus d’apprentissage élimine la possibilité de certaines conduites non renforcées. On peut dores et déjà en conclure qu’en comprenant les redondances d’un système on peut trouver le moyen de le déstabiliser pour lui redonner de la liberté.

 

 

7.   La déstabilisation du système et le changement

"Vous ne laisserez pas aller les mains vides celui à qui vous donnerez la liberté" (… quoique(- ; )  Quelque part dans La Bible

 

Dans l’allégorie de la caverne exposée par Platon, http://fr.wikipedia.org/wiki/All%C3%A9gorie_de_la_caverne, on peut lire le changement comme une déstabilisation des règles interactionnelles. Puisqu’il est si douloureux pour le prisonnier sorti de la caverne de regarder le monde réel, ce dernier va tout faire pour y rester. Le changement d’environnement bouleverse tous ses repères et les apprentissages sensori-moteurs et intellectuels établis à l’intérieur de la caverne et lui permettant de vivre enfermé ne lui sont plus d’aucun secours.

 

Il ne s’agit pas pour lui de « désapprendre » (on ne désapprend pas, on oublie) mais d’apprendre de nouveaux comportements plus adaptés : le changement n’est ni plus ni moins qu’un nouvel apprentissage. Rien à voir avec l’apprentissage  de Pavlov (apprentissage reflexe et conditionné) ou de Skinner (apprentissage opérant par renforcement). L’apprentissage du prisonnier est d’un niveau logique supérieur (autrement appelé par l’Ecole de Palo Alto, l’apprentissage de niveau 3 autrement appelé par Grégory Bateson « Deutero apprentissage ») et nécessite un changement radical de sa vision du réel : il « apprend à apprendre » à lire ce nouveau monde, ces nouveaux signaux afin de leur donner du sens et de les transformer en informations pertinentes pour s’adapter à son environnement. Il a changé de monde, les règles ne sont plus les mêmes, il doit donc changer pour survivre.

 

 

D’un autre style que l’allégorie mais du même acabit,  le film  Manderlay de Lars Von Trier retrace l’échec d’une héroïque jeune fille, à vouloir libérer un groupe de noirs maintenus en esclavage, alors que ce dernier est aboli depuis déjà 70 ans.  http://fr.wikipedia.org/wiki/Manderlay.

 

Le contexte : dans l’Amérique d’Al Capone, Grace, personnage central du film, est une jeune fille en révolte contre son père, qu’elle n’a de cesse de provoquer et de juger,  afin de mieux lui imposer sa volonté. Le père de Grace est un gangster qui a réussi. Il ne se déplace jamais sans son cortège de Cadillac et son escorte armée, dévouée, bien managée et bien payée.

Cette jeune femme, téméraire et utopique, un peu sortie d’un conte, a  pour cheval de bataille l’injustice sociale (Cf. le film précédent, du même réalisateur : Dogville). Le paradoxe du film (fille de gangster qui défend les causes sociales) souligne d’un clin d’œil, le cliché selon lequel, le jeune adulte se construit d’abord par opposition aux valeurs parentales du sexe opposé (quelque chose d’Œdipe).

 

L’événement déclencheur : Grace, son père et son escorte, s’arrêtent dans une bourgade d’Alabama, Manderlay. Une femme noire interpelle Grace, la suppliant de sauver son mari des coups de fouet qui le menacent. Grace, en dépit des conseils de son père qui l’invite à ne pas se mêler de ce qui ne la regarde pas,  décide de lui venir au secours. Elle entre pour cela dans l’enceinte d’une grande propriété, celle de  « Mam », maîtresse de céans, très âgée et très malade.

Dans cette exploitation de coton de Manderlay, Grace découvre avec stupéfaction que tout un groupe de noirs continue à être traité en esclaves alors que l’esclavagisme est aboli depuis déjà 70 ans. Alors que la vielle propriétaire se meurt, Grace dans un élan d’humanisme, avec l’aide des hommes de main de son père, affranchie les esclaves de la famille héritière. Dans un élan de justice et d’abnégation à la justice sociale, elle impose  aux nouveaux maîtres de Manderlay de libérer les familles noires opprimées, et de leur concéder en compensation l’ensemble de l’exploitation de Manderlay.

 

L’intrigue : Rapidement nous comprenons que la liberté n’a aucun sens pour ceux qui des générations durant, ont obéi. Un des plus sages d’entre eux s’inquiète de savoir à comment, dorénavant le groupe va s’organiser alors que les « règles » ont disparues avec cette soudaine liberté. Il avertit Grace que le groupe n’est pas « prêt » à être libre, implorant la jeune femme de rester avec eux pour les aider. « A quelle heure va-t-on manger maintenant que l’on est libre ? - un homme libre mange quand il a faim »…

 

Le déroulement étonnant : Au cours des événements, Grace apprend que les esclaves avaient connaissance de l’abolition de l’esclavage et que c’est un des vieux esclaves lui-même qui a rédigé le « livre de Mam », sorte de table de la loi des esclaves de Manderlay, consignant les castes raciales, les punitions et autres traitements.

 

Exercice pour ceux qui n’ont pas vu le film

En vous appuyant sur la lecture de l’allégorie de la caverne, répondez au mieux aux questions portant sur le scénario (réponses en dernière page du document). Prenez en considération les éléments du scénario décrit plus haut, en principe, vous en savez assez pour anticiper de façon stratégique les réponses à ces 4 questions (réponses dans la seconde partie de notre sujet)

a)    Selon vous, comment Grace s’y prend elle pour convaincre les esclaves à affronter le monde libre ?

b)    Quelle est la première règle que Grace doit instaurer ? (Cf. également l’exercice mené par Agnès Tavel « l’ile déserte »)

c)    Quels sont les problèmes essentiels que Grace devra démêler ?

d)    Selon vous, comment le film se termine t-il ?

 

 

Lorsqu’un changement de classe de contexte se produit, notre cadre de référence (vision du monde chez Watzlawick) s’effondre avec fracas. Pour aller vite, moins on change, plus c’est difficile de changer. L’adaptation conduit tout un chacun à moins de souplesse dans le changement. L’apprentissage de nouvelles règles contextuelles ne va pas de soi.

 

De nombreux auteurs (Henri Laborit, Joël de Rosnay, Gregory Bateson) voient dans l’évolution des espèces des comportements d’adaptation émerger à l’issue de modification de l’environnement. En effet, il arrive (hasard ou nécessité : je crois qu’aujourd’hui on répond « les 2 ») que les systèmes au lieu de s’adapter, modifient durablement leur équilibre (état source ou initial), comme si le thermostat était réglé à une autre température. Un changement interne s’est opéré (état cible), modifiant radicalement tout un pattern de comportements et de codes. Pour résumer, pour « changer de classe de comportement» et passer d’un état initial à un état cible, le système doit être déstabilisé. Les comportements consistant à faire plus ou moins de la même chose ne sont plus opérants pour ramener à l’état d’équilibre.

 

 

  Joëlle ANKAOUA

www.icplusformation.fr

 

 

 

 

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  • : Au sein de l'entreprise IC+Formation, mes missions consistent à : Développer l'efficacité personnelle ou collective au travail (management, communication, team building), Accompagner une personne ou une équipe à dépasser une difficulté ou un problème de communication, résoudre un conflit, prévenir les risques psycho sociaux, Accompagner le changement.
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  • Ce qu’évoquent mes missions : une juste distance, un sens de la responsabilité pour être tour à tour passeur, miroir, accompagnateur ou transmetteur.
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